C’est le 2 août 1876 que Emile Javelle escalade le premier le Tour Noir.
A cette époque, les refuges étaient rares dans les Alpes et les premiers alpinistes devaient se contenter du sol caillouteux comme couche, d’une pierre pour oreiller; comme gîte, un trou dans le roc ou le surplomb d’un rocher.
C’est sous un énorme bloc au bord du glacier de la Neuvaz que Javelle passa la nuit avec trois compagnons.
La description du cirque de la Neuvaz, des contreforts du Tour Noir, de l’ascension de cette cime est l’une des plus belles que l’on trouve dans les «Souvenirs d’un Alpiniste».
«Pas un point faible dans cette formidable enceinte, écrit Javelle, et comme si ce n’était pas assez d’obstacles, au bas de toutes les parois s’ouvre la longue déchirure des rimayes béantes.»
De temps en temps par les grands couloirs quelques blocs bondissent; une petite avalanche roule comme pour s’essayer, puis tout se tait et ce cercle de géants est là, terrible et immobile, qui vous regarde et vous attend.
Alors infirme et délicat petit être, seulement fait de chair et de sang, vous arrivez devant ces granits et ces glaces et vous leur opposez quelque chose de plus fort encore et de plus indomptable paraît-il, puisque vous vous dites tranquillement qu’avec votre volonté, votre intelligence, votre courage et un peu de patience vous saurez bien passer quand même.»
Un an après l’ascension de Javelle, la première cabane s’édifiait dans cette chaîne; ce fut Orny, puis vint Saleinaz, la nouvelle cabane d’Orny enfin Dupuis.
Seul le vallon de la Neuvaz était vierge de construction, et les alpinistes qui escaladaient le Tour Noir depuis le Val Ferret, comme Javelle, passaient la nuit sous l’immense rocher.
Et pourtant, dans la carte des Cabanes du CAS du 1912, la région de la Neuvaz figure dans la liste des cabanes de première nécessité à construire par le Club Alpin.
Un refuge s’imposait donc dans ces régions mais les disponibilités financières de sociétés alpines ne permettaient pas d’en réaliser la construction.
En 1924, un des membres honoraires les plus dévoués de la Section des Diablerets léguait à sa section une somme importante pour la construction d’une cabane dans les Alpes, mais sans en fixer le lieu.
Une commission est nommée de suite afin d’étudier la réalisation du vœu de notre cher défunt Edouard Dufour.
Différents projets d’emplacement dans les Alpes valaisannes furent examinés, mais c’est surtout à la demande de notre honoraire aujourd’hui décédé, Monsieur Albert Barbey, que le site de le Neuvaz fut choisi, pour les raisons suivantes: c’est surtout la région comprise entre Orny, Saleinaz, la Neuvaz, qu’Edouard Dufour affectionnait; durant toute sa carrière d’alpiniste, c’est là qu’il aimait à venir, il en connaissait tous les sommets, tous les passages; architecte de la première et de la cabane d’Orny actuelle, il avait vécu dans ces parages les plus beaux jours de sa vie.
C’était donc bien dans cette région qu’il fallait construire le refuge qu’il nous offrait si généreusement et où il l’aurait placé lui-même.
D’un autre côté, tant de souvenirs dans ce cirque glaciaire de la Neuvaz se rattachent à l’histoire de notre section.
N’est-ce pas Javelle, un de nos premiers présidents, qui fit l’ascension du Tour Noir?
Albert Barbey fit dresser la carte de toute cette chaîne.
Une cabane à la Neuvaz honorait la mémoire d’Edouard Dufour et en même temps consacrait les exploits et le souvenir de nos collègues disparus.
Enfin, comme nous l’avons dit, le Club Alpin Suisse avait marqué cette région dans la liste des cabanes à construire.
Fin 1924, notre section engage des pourparlers avec la Commune d’Orsières afin d’obtenir la concession pour un emplacement dans le cirque de la Neuvaz.
Aucune démarche dans ce but n’a encore été faite par aucune section du CAS ou société alpine; nous avions donc la priorité.
En juin 1925, la commission composée de Messieurs A. Barbey, J. Centurier, B. Grivel président, Wanner*, Revaz*, Professeur Mercanton, Ch. Trivelli, L. Seylaz, E. Francillon, se rend sur les lieux.
Après un examen attentif de la région, elle désigne l’emplacement de la cabane sur ce merveilleux belvédère où elle est édifiée aujourd’hui.
Des cairns sont dressés, ils restent debout toute cette année; l’emplacement est à l’abri des chutes de pierres et des avalanches.
La concession définitive nous est accordée par le Conseil d’Etat valaisan le 26 juin 1926.
Nous exprimons encore toute notre gratitude au Gouvernement Valaisan et aux autorités de la Commune d’Orsières de nous avoir permis de réaliser notre projet, et pour toutes les facilités qu’ils nous ont accordées au cours de la construction.
Le CC du CAS qui était à Berne à l’époque de nos projets s’est montré dès le début favorable à l’édification d’une cabane à la Neuvaz; à l’assemblée des délégués à Interlaken en septembre 1925, son Président le Dr Leuch* faisait voter par l’assemblée que la Cabane Dufour viendrait en tête pour la prochaine subvention qu’accorderait le CAS.
L’assemblée des délégués réunie à Lausanne en novembre 1926 accordait à la Section des Diablerets la subvention demandée.
Nos collègues Messieurs J. Centurier et Ch. Trivelli architectes ont été chargés par la Section de diriger la construction de la cabane d’après les plans de Messieurs Brügger et Trivelli.
Le 4 septembre 1927, plus de 250 clubistes venus de toutes les régions de notre terre Romande fêtaient avec la Section des Diablerets l’inauguration de ce nouveau refuge des Alpes Valaisannes.
Et maintenant, cette cabane a ouvert sa porte aux alpinistes épris du désir de parcourir les hauts sommets, les passages de cette région grandiose, elle accueillera au retour des alpinistes peut-être fatigués, son atmosphère réchauffera les corps fouettés par la tourmente; mais chez tous brillera cette flamme de bonheur qui passe dans les yeux au ressouvenir de l’escalade, de la lutte avec la glace et le rocher, des visions féeriques qu’on ne trouve que là-haut.
Tous ceux qui passeront ici pourront dire avec Javelle: «J’ignore ce qui m’attend au-delà de la vie, ce que sera le monde à la fin des siècles, mais en ce moment, dans cette riche lumière, dans cet air pur des Alpes, j’ai vraiment vécu et tout un ciel était dans mon cœur.»
Dr M. Bud…..*
* orthographe incertaine